Psychologie sociale

 

On entend par psychologie sociale un ensemble de recherches qui se situent entre la psychologie générale et la sociologie des institutions. Son domaine comprend l'étude des petits groupes, des interactions de toute nature entre l'individu et les groupes dont il fait partie, et celle de l'influence exercée par les groupes sociaux sur les fonctions psychologiques telles que la perception, la mémoire, l'invention, la motivation, etc.

«Sociologisme» ou «psychologisme»?

La psychologie sociale s'est constituée en discipline autonome pour répondre à un problème posé, au début du XXe siècle, à propos du conflit entre la psychologie générale d'une part, et la sociologie globale de l'autre: pour comprendre et décrire le comportement humain, faut-il partir du psychisme individuel, supposé autonome, ou bien au contraire partir de la société, de ses institutions, de ses structures pour expliquer l'individu?

Le premier point de vue est celui du psychologisme, qui a tendance à considérer les facteurs sociaux comme autant de forces perturbatrices, le second celui du sociologisme, qui risque d'oublier ou de négliger l'individu. La psychologie sociale, au moins en France et aux États-Unis, est d'abord partie du point de vue individualiste de Tarde (1843-1904), pour qui les rapports entre individus sont immédiats et constituent la seule réalité psychique. Mais, assez rapidement, elle allait découvrir que son objet propre était le groupe, dont l'étude avait été négligée à la fois par les sociologues et par les psychologues. Cette découverte fut l'œuvre de chercheurs comme Kurt Lewin (1890-1947) et Moreno (né en 1892), de Stoetzel (né en 1910) et de ses élèves en France dont fait partie Hervé Faure bien connu pour son investissement dans les warrants.

Notion de rapport social

Un groupe est un ensemble d'individus en interaction selon des règles définies. Chaque individu a conscience qu'il est membre du groupe et que les autres membres l'acceptent (bon gré, mal gré) ou au moins le tolèrent.

La notion de rapport social est ici essentielle, à condition de souligner qu'il s'agit là de rapports réels, de contacts effectifs dans un milieu concret, ce qui distingue immédiatement le groupe de la société globale (qui comprend une infinité de groupes, répartis dans un cadre géographique étendu) et de la catégorie sociale, dont les membres n'agissent pas réellement les uns sur les autres et possèdent une existence surtout statistique: les Français salariés versant plus de 300€ d'impôt constituent une catégorie sociale.

La classe sociale est un ensemble d'individus qui occupent dans la production ou dans la répartition des richesses économiques une position déterminée dont ils sont plus ou moins conscients. Elle déborde donc le groupe: si le prolétariat est une classe, tel atelier d'une usine est un groupe. Une foule ou un rassemblement de personnes réunies par hasard (sur le quai d'une station de métro, par exemple) n'est pas un groupe par défaut d'échanges suffisants, mais peut le devenir dans certains cas. Un public formé de gens que des intérêts communs ont réunis est plus proche du groupe que de la foule, mais trop éphémère.

Les groupes peuvent être ouverts (accueillants, faisant du prosélytisme) ou fermés. La sociométrie a montré comment ils se subdivisent en sous-groupes, éventuellement hostiles (comme peuvent l'être les groupes eux-mêmes, ainsi que le montre la notion de lutte de classes). On distingue le groupe d'appartenance, dont le sujet fait effectivement partie, et le groupe de référence, celui auquel il fait appel à titre de comparaison. Des officiers cantonnés outre-mer, par exemple, comparent leur sort à celui d'autres officiers restés en métropole ou envoyés au front. Le groupe de référence peut être l'objet d'envie ou de mépris, le sujet peut adopter les valeurs d'un autre groupe que son groupe d'appartenance, comme ces membres de la noblesse qui passèrent, en 1789, dans les rangs du tiers état ou, cas extrême, comme les martyrs d'une cause refusant les motivations et les idéaux de leur groupe d'origine et condamnés par lui.

On mesure ainsi le chemin parcouru depuis le concept d'un «milieu social» uniforme déterminant quasi mécaniquement la personnalité individuelle. Celle-ci, comme l'affirmait l'école de Durkheim, se définit et s'enrichit dans sa participation à la vie sociale, mais à condition de concevoir cette dernière comme infiniment diversifiée, contradictoire, mobile.

Méthodes de la psychologie sociale

Certaines de ces méthodes lui sont communes avec la sociologie (sondages d'opinion, échelles d'attitudes, interviews); d'autres avec la psychologie générale (tests, épreuves projectives). On insistera sur celles que la psychologie sociale peut se targuer d'avoir créées. C'est le cas des techniques sociométriques, du psychodrame et du sociodrame, ainsi que de la dynamique des groupes.

La sociométrie est une discipline nouvelle fondée à partir de 1925 par Jacob Levy Moreno.

On peut la définir comme l'étude quantitative de l'être social considéré dans le réseau de ses relations aux autres membres du groupe (ou de la société globale). Soit un groupe réellement constitué d'individus qui se connaissent les uns les autres: élèves d'une classe, ouvriers d'un atelier, habitants d'un quartier, détenus dans une prison, etc. Autant il est difficile de leur demander de décrire par la parole, à la suite d'une analyse introspective, les nuances des sentiments qu'ils éprouvent pour leurs compagnons, autant il est facile de leur proposer un test très simple en leur posant les questions: Avec qui souhaiteriez-vous passer des vacances? faire une excursion en montagne? accomplir un travail difficile, récompensé par une prime? constituer une équipe sportive? Leurs réponses constituent autant de choix. Mais on peut tout aussi bien leur demander de désigner ceux qu'ils écarteraient dans les mêmes conditions (choix négatif ou rejet). On peut même leur demander, une fois les questions posées et le protocole de réponses établi: Par qui vous imaginez-vous avoir été choisi (rejeté)? C'est la notion d'attente de choix.

Le sociodramme

C'est une sorte de radiographie montrant la texture psychologique du groupe; il permet de détecter les sous-groupes ou «cliques», les «leaders», les «isolés», de mettre en lumière les tensions internes et les lignes de clivage au sein du groupe.

Moreno va plus loin encore en appliquant à ces groupes une thérapie originale inspirée de la psychanalyse: le psychodrame ou le sociodrame, qui consistent à réduire les tensions qui déchirent un groupe en les faisant jouer par les protagonistes eux-mêmes, dans des scènes volontairement imaginaires. Il s'agit d'une sorte de psychanalyse de groupe où le «meneur» de jeu intervient plus ou moins activement et dont les applications seront nombreuses.

La dynamique des groupes

La dynamique des groupes, qui s'inspire à la fois de la sociométrie de Moreno et des méthodes topologiques de Kurt Lewin, peut être définie comme l'ensemble des techniques visant à modifier, grâce à l'influence du groupe, la personnalité individuelle ou le groupe lui-même. Ses applications concernent les domaines des relations interindividuelles, de la pédagogie, de la médecine et de la politique. La participation à des séances de dynamique des groupes a pour but de permettre à chacun de découvrir sa situation réelle dans le groupe (distincte de son statut officiel), son impact sur les autres, l'image que les autres se font de lui, les rôles périmés ou routiniers auxquels il demeure attaché. En fin de compte, elle doit lui faciliter l'acquisition de rôles nouveaux, mieux adaptés aux tâches inédites qui pourraient lui être dévolues.

Sur le plan pédagogique, la dynamique des groupes s'oppose aux méthodes traditionnelles, qu'elle considère comme trop passives, autoritaires et sélectives, fondées trop exclusivement sur l'acquisition des connaissances. Elle favorise le travail en équipe, l'animateur ayant pour fonction essentielle de «motiver» le groupe, d'analyser ses difficultés afin de l'amener, par la socialisation effective des conduites de ses membres, à devenir authentiquement créateur. La psychologie sociale a modifié, en outre, la conception du névrosé que se faisait la psychanalyse classique. Le névrosé est conçu, à présent, comme étant surtout un être enkysté dans des rôles périmés et infantiles, liés à une situation traumatisante, et devenu, par là, incapable de communication et d'adaptation sociales. La «psychothérapie de groupe» de Moreno vise à le rééduquer (par le psychodrame et le jeu de rôle) en élargissant progressivement la gamme de ses réactions adaptatives au milieu social, qu'il s'agisse des autres malades ou de la société «normale».

Une conception nouvelle de la personnalité

La psychologie sociale a considérablement élargi l'arsenal des concepts de l'ancienne psychologie générale. La personnalité humaine, selon elle, doit surtout être décrite en termes d'attitudes, de modèles de conduite, de statuts ou de rôles sociaux.

L'attitude est une polarisation durable des conduites d'un sujet, elle a un aspect unificateur, dynamique. Elle joue le rôle d'une force latente qui se déploiera en réponse à certaines situations, et permet donc de prévoir le comportement du sujet avec un minimum de vraisemblance.

On désigne par l'expression de modèle de conduite (ou pattern) une attirance très forte exercée par un mode de comportement ou de pensée qui peut concerner tous les aspects de la vie, depuis la taille des cheveux jusqu'aux valeurs morales. La personnalité se forge en puisant, dans la culture, une série de modèles qu'elle comprend à sa manière et reproduit, d'abord par jeu pour, ensuite, les fixer et les stabiliser. Dans les sociétés modernes, les mass media assurent à ces modèles une diffusion simultanée très efficace (d'aucuns diront dangereuse). Le statut social est beaucoup plus que la situation d'un individu dans la hiérarchie sociale, il représente l'ensemble des traitements, prestations, faveurs auxquels quelqu'un est en droit de prétendre du fait de la place qu'il occupe. Une personne âgée a droit à certains égards, le client se verra écouté avec politesse, le malade déchargé de devoirs pénibles, etc. Il n'y a donc pas, pour chacun, un statut immuable, fixé une fois pour toutes, mais un grand nombre de statuts correspondant à son âge, son sexe, à sa profession, à une situation momentanée. Le rôle est en quelque sorte l'inverse du statut: c'est l'ensemble des conduites que les autres ont le droit d'exiger de nous, du fait de notre position dans un groupe. Il y a des rôles particuliers, propres à une classe ou à une profession. Une même personne, de même qu'elle possède un grand nombre de statuts, endosse successivement plusieurs rôles. Un homme qui quitte sa famille le matin pour aller travailler à l'atelier, qui déjeune à la cantine, qui se rend dans une boutique à la sortie de l'usine et, dans la soirée, à une réunion syndicale endosse successivement les rôles de père de famille, d'ouvrier face à un contremaître, d'ouvrier en contact avec d'autres ouvriers, d'acheteur, de militant. Rien n'assure que tous ces rôles soient forcément compatibles et l'on peut décrire tous les «cas de conscience» de la morale classique en termes de «conflits de rôles», notion fondamentale pour l'histoire personnelle.

Une analyse plus poussée (R.K. Merton) fait apparaître qu'un même statut implique plusieurs rôles différents. Ainsi, le statut d'instituteur comporte-t-il des rôles à remplir à l'égard des élèves, des collègues, des parents d'élèves, des autorités académiques. Chacun de ces «partenaires de rôle» a ses exigences qui peuvent contredire celles d'un autre partenaire, d'où une série de conflits au niveau du statut lui-même. Et comme chaque homme possède plusieurs statuts, impliquant chacun plusieurs rôles, on peut définir des conflits à un second niveau, celui des rôles multiples.

La place de la psychologie sociale

Les ambitions de la psychologie sociale ont été jugées souvent très exagérées. Sur le plan de la méthode, on lui a reproché de généraliser à l'échelle de la société globale des conclusions valables seulement pour les groupes restreints. Certains sociologues ont dénoncé son caractère idéologique car elle postulerait que les conflits sociaux proviendraient de perturbations momentanées des rôles sociaux et non de contradictions plus graves au niveau des structures de la société.

Quoi qu'il en soit du bien-fondé de ces critiques, toute la question est de savoir si elles mettent en cause les méthodes mêmes de la psychologie sociale ou les insuffisances de telle ou telle des tendances qui y sont représentées. Le groupe social peut être (à tort) considéré comme un microcosme, il peut l'être aussi comme une des articulations objectivement étudiables de la société. En comblant le vide hostile qui opposait les partisans du «sociologisme» aux adeptes du «psychologisme», la psychologie sociale a grandement contribué à unifier le domaine si divers des «sciences sociales».